Quadriptyque 12.08.02. de Claude Ciccolella
58'00 stereo 2019
"Quand je peins, je ne me propose pas de communiquer un sens, la peinture n'est pas signe. Si l'art se réduisait à la communication, nous pourrions jeter l'oeuvre une fois le message passé. Une peinture est une organisation de formes sur laquelle les sens viennent se faire et se défaire, suivant humeurs, époques... en fonction de ce que nous sommes. Elle n'est ni un langage, ni une image, mais d'abord une pratique. C'est en peignant que j'apprends ce que je cherche ; je n'ai pas de projet préétabli : ce que je fais me renseigne sur ce que j'ai à faire." Soulages
Propos
De cette aventure vidéographique est ressorti l'objet de ma recherche. A la fin du montage de la première vidéo qui initia involontairement les deux suivantes, je me suis aperçu que j'avais développé une esthétique épistémologique où le concept scientifique n'était pas représenté mais interprété et détourné en expériences sensibles et où les moyens propres du cinéma avaient la part belle. Des fragments de mon passé se relièrent, ceux issus de mes études scientifiques universitaires et ceux du travail de sélection et de programmation pour le festival international de vidéo expérimentale "Images Contre Nature". Dans cette pratique de cinéma expérimental, celle du "cinéma même" comme l'a écrit D. Noguez, qui se situe entre art visuel et cinéma, le motif devenu objet central est confronté dans un jeu de champ et de hors-champ et de manière imprévue, à sa transfiguration et à sa disparition. Les concepts scientifiques y sont abordés subjectivement dans une libre perception et dans un système où la représentation est faite d'accident, de hasard, de jeux de couleur, de superposition, de suspension, d'éclatement d'espaces, et de temps non linéaire. Le point de départ des trois premières expériences fut la captation et les multiples cadrages, compositions, positionnements, inclinaisons, ouvertures de diaphragme. Chacun des motifs, envisagé et pensé en tant qu'objet, le fut uniquement à la fin de chacune de ces réalisations, à qui j'ai donné le nom du mois de leur captation, dans l'ordre suivant : une nature sauvage, l'archipel d'Endoume dans Décembre, un monument architectural "La Marseillaise" dans Août et l'espace urbain marseillais dans Février. Comme aucune règle ou presque ne fut prédéfinie, beaucoup de tentatives de montage furent nécessaires avant que la forme ne puisse se déployée. Dans la première vidéo, les accidents structurels, leur non linéarité, la succession de plans dans un rapport de champ et de hors-champ, la chronologie désordonnée des cinq jours de tournage prenant la forme d'un journal d'expériences cinématographiques, renvoient au phénomène entropique. Avec la deuxième vidéo la nécessité de renouveler l'expérience sur un autre motif se fit jour. Pourquoi ne pas choisir une architecture incarnant l'idée du dynamisme de la ville, une tour, et de créer un hors-champ d'antimatière ; hors-champ tel que définit par W. Nekes. Dans ce deuxième journal les jours sont redondants au nombre de quatre et ne se suivent pas. Dans la troisième vidéo j'entendis étoffer le rapport art et science à l'espace urbain et au concept de la théorie des cordes, à ces vibrations intimes aux multiples dimensions. Ce troisième journal composé de trois jours suit un ordre chronologique. Les terribles événements survenus, l'effondrement des deux immeubles et la mort de huit habitants, ont failli stopper cette réalisation. En effet je tentais désespérément d'intégrer des rushes, captés lors de manifestations qui suivirent cette tragédie sous la forme de documents. Finalement grâce aux soutiens et aux critiques formulées pendant les rencontres mensuelles du collectif nbc auxquelles je participais, je réussis à finir cette vidéo dans la même résonance que les deux premières. Cependant la réalité de cet événement et l'obscénité de la mort des huit habitants provoquèrent la création d'un très court-métrage Novembre qui finalise ce quadriptyque.
Caratéristiques techniques
Les quatre vidéos, Décembre, Août, Février, Novembre peuvent être diffusées soient en monobande - soient vues séparément - ou pour une durée totale de 58 min - soit en installation.
En installation, les vidéos sont projetées à l'intérieur d'un cube, chacune sur une face (les murs) immergeant ainsi le spectateur dans un flux d'images. Les vidéos peuvent aussi être projetées le long d'un couloir d'environ 5 mètres de large x 16 mètres de long pour former de grands tableaux en mouvement.
Réglage du son lors de la diffusion : volume bas quasi en sourdine.
Autres caractéristiques techniques : vidéo UHD, 58 min, couleur & n/b, 2019, version française avec sous-titre en anglais.
Entropie
L'entropie, mesure statistique et calcul de probabilité, est définie comme le désordre interne d'un système à processus irréversible, l'irréversibilité provenant de notre impossibilité à tout connaître, à tout contrôler. Quand l'entropie augmente, le passé s'estompe et l'avenir devient imprévisible entraînant une perte d'information. Avec le déterminisme du XIXème siècle on pouvait théoriquement savoir avec précision la position et la vitesse de toutes les particules de l'univers et prévoir entièrement leurs évolutions futures. La mécanique quantique élimine définitivement cette possibilité par le principe d'incertitude de Heisenberg. En effet une augmentation de la précision de la position d'une particule engendre une dégradation de la précision de sa vitesse et vice-versa.
Chacune des trois premières vidéos, aux formes imprévisibles, originales, accidentelles et inhabituelles, leurs désorganisations et le recours à la redondance pour résister à la menace de la disparition, finissent par se fondre dans le bruit.
Antimatière
Lors de leur rencontre la matière et l'antimatière, sa matière "miroir", sont annihilées. Toute la masse est transformée en une pure énergie, le photon. Pendant le Big Bang il y aurait eu autant de particules que d'antiparticules. Certaines théories évoquent le fait que l'antimatière, cette matière à remonter le temps, serait passée dans d'invisibles anti-galaxies. Ainsi pour l'étudier, les chercheurs doivent la fabriquer en laboratoire, car dès son apparition elle se heurte à la matière et disparaît aussi vite qu'elle est apparue.
Dans l'invisibilité de son processus et dans le noir de la nuit la tour prend forme en matière "miroir" qui se confronte singulièrement à sa matière architecturale. Elle donne naissance à des structures, à de multiples vibrations, à l'envol vers la lumière. Projetée dans un univers à transformation changeante à la manière d'un rubik's cube la tour nous entraîne dans une chute originelle.
Théorie des cordes
La théorie des cordes est la réconciliation entre la mécanique quantique et la relativité générale. Elle est l'unification des quatre interactions élémentaires connues. Les cordes, ces brins d'énergie cent milliards de milliards de fois plus petites que les atomes, produisent, par leurs vibrations, les caractéristiques des particules élémentaires. Les cordes ouvertes servent de pont entre deux objets, les cordes fermées pourraient être à l'origine de la gravité et de sa particule élémentaire le graviton. Certaines de ces cordes, les branes, sont des objets dynamiques étirés, aux surfaces aussi grandes que l'univers et au nombre variable de dimensions. Avec cette théorie il est possible d'envisager des univers parallèles, des univers multiples aux multiples dimensions.
Des structures glissent l'une contre l'autre sans se rencontrer, invisibles entre elles, des fragments d'images s'entrecroisent en leur champ et font vivre des hors-champ en leur sein, jeux de superpositions multiples et naissance d'univers aux dimensions insaisissables, aux représentations incertaines et changeantes, aux émotions riches en sensations et pauvres en informations.
@ 2024 by Claude Ciccolella